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Abdelaziz BEHRI

 

Heureux qui.

Heureux qui, comme le poète, a vécu dans une grande métropole et formulé le vœu de retourner vivre le restant de ses jours

dans son petit village qui lui est une province et beaucoup davantage. Heureux qui, comme un bon fils, n’oublie jamais la terre à laquelle il doit sa chair et son sang, son intelligence et ses dons et qui, pour lui venir en aide, répond toujours présent.

Mais, malheureux qui, comme nous, vieux Mideltis résidents, a connu cette ville, du temps où elle était à son apogée et vit actuellement, avec elle, sa chute, de Charybde en Scylla. Malheureux qui, comme un fils ingrat, prend du plaisir à se vautrer dans d’autres girons et qui, même s’il doit tout à cette terre généreuse, ne la paie pas en retour. Quiconque aurait quitté Midelt dans les années soixante-dix serait totalement déçu, s’il y revenait aujourd’hui, parce que cette ville a connu plus de bas que de hauts. En effet, depuis l’entrée jusqu’à la sortie, le charme et la splendeur qu’elle offrait ont disparu. Permettez-moi alors, vous les jeunes, de vous mener faire un tour pour vous donner une idée très juste de l’état actuel des choses.


Dans le temps, lorsque le visiteur arrive de Tadamout, il est sidéré, surtout par une nuit de pleine lune, par l’apparition magique de Tachaouite. C’était digne d’un conte de fée. De jour, le spectacle devient autre. Fait d’argile blanche qui contraste avec la roche noirâtre, en toile de fond, du versant de Moulay Abdelkader, le grand ksar jaillit, majestueux, au milieu de la verdure. Ajoutez à ce tableau le bleu du ciel parsemé de quelques nuages blancs et vous restez bouche bée; un vrai kaléidoscope ! Aujourd’hui, le ksar est abandonné par une grande partie de ses occupants qui ont préféré construire des maisons dans les champs. La gangrène du béton armé a frappé, en effet, tous les douars avoisinants. Cependant, ce qui fait le plus mal au cœur, c’est que les enfants de Tachaouite, qui appartiennent à la crème de la ville et à l’intelligentsia, l’ont quitté sans remords, comme d’aucuns ont fait avec Midelt.

Encore sous l’empire de l’enchantement, le visiteur continue son chemin et se retrouve, une centaine de mètres plus loin, engagé dans une route, longue et rectiligne, bordée de hauts peupliers qui lui souhaitent la bienvenue en le saluant de leur cime et dont le feuillage inonde le sol d’une ombre fraîche et généreuse. Lors des belles après-midi, les mamans, accompagnées de leur progéniture, venaient s’y rafraîchir. Mais c’est de l’histoire ancienne car ces arbres ont été coupés et transformés en cageots destinés à la cueillette des pommes dont Midelt est la capitale. On les a certes remplacés, mais par une autre espèce, moins belle et moins ombreuse.

Il arrive ensuite au petit pont sous lequel coule une eau claire et douce. En amont, à droite, des femmes lavent linge, couvertures et laine, qui avec les mains, qui avec les pieds. Tout près d’elles, sur la rive droite, les petits jouent à l’ombre de « Tisemlil », une plante qui pousse près de l’eau. En aval, l’eau suit son cours sinueux, et loin des yeux, un peu plus bas, des enfants prennent du plaisir à plonger dans un endroit un peu profond, « Tamda n’boukhabbat ». Plus loin encore, les branchages denses de « la jungle » s’élèvent dans le ciel. Ce petit bois est fréquenté par les jeunes qui s’adonnent à la lecture ou au vin, ou par des couples pour conter fleurette. Ils s’y rendent en quête de la paix en pleine nature. Mais tout a changé aujourd’hui. En dehors des crues qui sont devenues rarissimes, la rivière est nourrie par les eaux usées des égouts qui vous obligent à traverser le pont en apnée, tant l’odeur est insupportable.
Il fait, ensuite, un détour par la souika dont l’architecture est purement marocaine. Des magasins situés en carré et, au milieu, une grande cour, jadis réservée au spectacle. L’après-midi, en effet, hommes et femmes, libérés des problèmes quotidiens, viennent passer leur temps libre à regarder évoluer des « Hlaïkia ». Conteurs, charmeurs de serpents, boxeurs, chanteurs et autres saltimbanques. Rappelez-vous le fameux Hmari Maymoutchi. Allez jeter un coup d’œil maintenant, rien de tout cela n’est plus. Des magasins ont poussé à leur place.

Un peu plus loin, de grandes affiches attirent les cinéphiles et les curieux qui veulent prendre connaissance des films au programme. Des fois, on est comblé pendant des séances de trois grands films. Cela ne se passait que chez nous. Il s’agit du cinéma Rex de « Balyout ».Eh oui ! Notre chère ville avait sa salle depuis les années quarante, c’est-à-dire, en même temps que les grandes villes. Aujourd’hui, elle est encore là, mais désaffectée.

Puis on arrive au quartier militaire avec ses fameuses villas modernes, conçues à l’européenne. La clôture n’en cachait pas l’intérieur : l’habitation et la cour, toujours propres, avec des rosiers alentour. Aujourd’hui, ces parapets sont transformés en mur de terre et, souvent, cela sent la bouse de vache. Des villas devenues étables. De l’autre côté de la rue, attenants à la caserne militaire, une grande piscine ouvre ses portes aux civils et un court de tennis aux amateurs de la petite balle, notamment les coopérants. Allez voir ce que ces joyaux sont devenus, et vous pleurerez les larmes de votre corps. Suivez le chemin qui contourne ces belles-villas-qui-ne-le-sont-plus, et vous verrez l’hôpital dont je ne veux pas parler pour la simple raison qu’après avoir été le fleuron de la région, il en est devenu, à un moment donné, la risée.

Faites ensuite un petit tour et vous arrivez au carrefour du commissariat. Là, vous ne manquerez pas de remarquer, à regrets, l’absence des visiteurs les plus assidus et les plus fidèles, à savoir les cigognes ; celles-ci ne sont plus juchées sur la cheminée de la Perception. La main de l’homme nous a privés du claquement de leurs longs becs après avoir détruit leurs nids, et, ce faisant, elle a effacé une partie de la mémoire collective. En face, les grands pins dont l’ombre abondante avait accueilli des milliers de touristes qui bivouaquaient dans ce camping, en toute sécurité, ont perdu leur feuillage. On les a dénudés pour chasser des oiseaux blancs dont la fiente blanchit le sol, les tables et parfois, la tête des clients. Tout près, Jeanne d’Arc, qui admirait les grands platanes du jardin public qui ne désemplissait pas, a été forcée de céder la place à l’Hôtel de ville. Il ne reste plus que quelques arbres, et n’eût été l’instance de certains édiles, ces témoins sylvestres auraient disparu.

A la sortie de la ville, le paysannat, une ferme d’Etat où les techniciens se livraient aux essais agricoles, agrémentait le paysage par la profusion de sa verdure et marquait les esprits car, au-delà, il fallait arriver aux points d’eau pour rencontrer de la végétation. Aujourd’hui, cette plantation a disparu et il ne reste que les locaux dépravés des dépendances et un cimetière d’arbres.

Quant à l’Histoire proprement dite de la ville, celle-ci doit son existence aux mines de Mibladen-Aouli, dont le minerai était transporté par train. Cependant, le seul vestige de l’ex-voie ferrée est un pont métallique qui a fait l’objet d’un article intitulé « Le pont d’Iroumlil », du 22 février 2007. L’objet de cet écrit était d’attirer l’attention de tous ceux qui aiment cette ville car des voleurs de rails ont détruit ce pont pour mettre la main sur les six longues poutres métalliques qui en constituent l’ossature. Ces poutres sont encore là, mais elles risquent de disparaître. Et pour contrecarrer ce mauvais dessein, j’ai lancé cet appel pour que l’on fasse quelque chose, d’autant que nous avons une association de grande envergure qui s’occupe de l’environnement. Celle-ci se chargera de restaurer et sauver une page de cette Histoire.

A propos d’Histoire, je vais vous livrer ici les sages paroles de Hammou l’Algérien, célèbre unijambiste, que Dieu ait son âme. Lors d’une discussion où nous passions en revue les rapports fraternels qui unissaient les habitants de la ville, dans les années cinquante et soixante et la convivialité qui régnait, je lui ai dit que cette époque-là était vivable car Midelt était habité par une petite population. « Non, mon cher, a-t-il réctifié, Midelt était habité par UNE GRANDE FAMILLE ! ».

C’était ça Midelt dont les souvenirs sont inscrits, non dans notre mémoire, mais plus profondément, dans nos cellules ! Il est vrai que c’est irréversible ; on ne pourra jamais retrouver l’ambiance cordiale et fraternelle qui y régnait, ni la fascination de son charme car le développement de cette ville est inversement proportionnel à celui de la population. Cependant, il faut réagir. J’ignore ce que l’on pourrait faire, mais il faut faire quelque chose. Car l’émission Abouab Al Madina sur Midelt a marqué ma mémoire au fer rouge, en mettant notre belle ville sur un pied d’égalité avec Mrirt, Timahdit et Rich. Qui l’aurait cru ? Mais le monde est ainsi fait ; l’essor et la décadence finissent toujours par se croiser. J’en suis mortifié. Pas vous ?


Behri AbdelAziz.
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