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- Publication : mercredi 21 mars 2012 15:01
Débattre en toute sérénité.
Par Majid Blal
(Ce texte ne vise personne en général puisque nous avons le même travers en particulier !)
Pourquoi a-t-on la hantise de ne voir en l’autre qu’une menace et non un interlocuteur viable qui pourrait enrichir nos acquis ? Pourquoi déclenche-t-on l’alarme de la méfiance lorsqu’on est confronté à l’argumentaire de l’autre ?
Pourquoi désigne-t-on le porteur d’une autre vision, d’un autre avis d’ennemi lorsqu’il est plus pertinent d’y voir un partenaire complémentaire ?
Pourquoi a-t-on peur de sortir des sentiers battus qui ne rassurent pas notre confort des certitudes sublimées ? Est-ce que c’est le niveau
de confiance en soi qui permet d’affronter le doute? Et qu’elle est la conception du dialogue et de la conversation ?
D'une part, la parole ne devrait pas être le privilège des uns parce qu’ils sont mieux cravatés, mieux introduits dans la hiérarchie du réseautage, plus bardés en diplômes, plus opulents…quand la parole est l’expression de la légitimité de l’exercice citoyen.
D’autre part, Discuter, ce n'est de la surenchère pour avoir le dernier mot mais dialoguer discuter ne devrait pas être un souk de la surenchère, un encan de la hausse du ton pour avoir le dernier mot. La culture du dialogue est une condition capitale pour la cohabitation au sein d’un espace de médiation dans lequel les individualités sont des opinions différentes et de la diversité.
Démocratiser la parole ne lui garantit pas un traitement adéquat.
J’en ai vu qui deviennent rouges, la voix enrouée et l’écume débordante quand ils se retrouvent dans une position où ils font face à la confrontation des points de vue. Dans une dynamique d’escalade, ils ne tardent pas à en faire une question personnelle qui aboutit incessamment à une attitude conflictuelle. Ce sont souvent les plus timides, les plus effacés et ceux qui trouvent soudain la légitimité du verbe dans un nouveau statut socioprofessionnel ou autre.
Si on se fâche vite, c’est juste parce qu’on n’a pas appris à parler en public. On s’énerve, on ferme les yeux, on ne s’entend plus dans ses propres trémolos puis on se lance dans l’invective et la vindicte gratuite.
J’ai été témoin, moult fois, dans des réunions associatives, discussions amicales, dans des débats sur des forums, dans des groupes de réflexion, dans les organismes pour la représentation des communautés culturelles mono ethniques comme pluriethniques, la volonté d’exclure quand on ne peut convaincre l’interlocuteur.
Le « Biais de confirmation » est quand on sélectionne et qu’on appuie les arguments qui renforcent notre point de vue ou notre perception et paradoxalement on minimise, sinon on balaie du revers de la main, les versions que notre compréhension rejette parce que non ingérables, non assimilables. Non conformes à ce que nous considérons la norme légitime.
Discuter, ce n'est de la surenchère pour avoir le dernier mot mais dialoguer
La difficulté d’assumer une parole régénérée ou plutôt conquise dans le cadre d’une communication sociétale en balbutiement émerge rapidement lors d’une discussion, un débat, un dialogue. Il n’y a pas de conversation quant celle est une illusion parce qu’elle devient « …des monologues qui s’entrecroisent »
En effet, le cafouillis s’installe rapidement lorsqu’on ne peut faire la part des choses entre ce qui est personnalisé, ce qui est de l’ordre du privé et ce qui est relatif et intrinsèque au sujet traité. Ce qui est de l’ordre de l’émotivité, ce qui est combatif au nom de l’orgueil et ce qui est relié à la perception qu’on a de l’interlocuteur. Ce qui relève de l’analyse, de la critique constructive et ce qui réagit impulsivement de peur de perdre la face en public. L’attitude en fonction du degré d’estime de soi et de la confiance qu’on accorde à l’interlocuteur. La prise en considération de ce qui pourrait être atteinte à l’intégrité de l’autre et surtout de la l’importance d’écoute active dans la construction d’une communication efficace et respectueuse.
Un méchant marécage ou il est facile de patauger et de se débattre quand la notion de respect des autres et de la différence des opinions n’est pas intégrée au processus communicationnel pendant les rapports sociaux. Comportement aggravé par la non prise de conscience de la carence héritée quand à la manière d’aborder les idées surtout quand elles semblent déranger.
"Il y a de la place au soleil pour tout le monde, surtout quand tout le monde veut rester à l'ombre." Jules Renard
Le consensus tant sublimé et la hantise de ne pas être la copie conforme de l’image qu’on est sensé refléter au sein de la famille, du groupe, du clan, de la tribu, de la communauté, pèsent très lourd sur la qualité de la parole, des idées et de la perception qu’on peut se faire d’une communication apprivoisée. On constate par exemple que les individus qui osent se démarquer, affichant un franc parler, sont décriés en public parce qu’ils incarnent une menace et paradoxalement, ils sont adulés en privé parce qu’ils attisent l’envie en assumant leur singularité et en affichant une identité individuelle construite et non héritée. Il est sous-entendu qu’il ne faut pas sortir du lot car c’est considéré comme une trahison au groupe.
« Il est difficile de combattre un adversaire qui a des avant postes dans votre
tête » Sally Kempton
L’inconscient collectif est le produit de l’éducation, de la tradition, les mœurs, du milieu socio économique et de la dualité entre collectivisme et individualisme et entre particularismes et universalisme. Dans beaucoup de milieux marocains qui s’apparentaient au mien, l’éducation première avait mis le couvercle sur le verbe. L’expression individuelle comme collective avait longtemps moisi dans le bunker du mutisme. Le silence comme valeur dans l’éducation familiale et comme impératif dans la socialisation, a été longtemps conseillé, privilégié, sacralisé, valorisé et même imposé.
Quand on a grandi dans la peur de dire, il n’est aisé de retrouver la parole. Quand on a eu de l’autocensure dans le biberon, il n’est pas facile d’être cohérent, congru, conséquent quand on recrache ses premiers mots d’adulte incité à s’exprimer librement. La culture du silence devant les parents, le silence devant les ainés, en présence des adultes, les oncles, les autorités qu’importe la hiérarchie. Chut ! Tais-toi jusqu’à l’effacement…- Discuter, ce n'est de la surenchère pour avoir le dernier mot mais dialoguer
Puis est arrivé l’enculturation dans un monde nouveau où la parole est synonyme de citoyenneté. Un processus d’intégration à la parole conquise sans avoir cheminé par la socialisation préalable en communication car il y a eu déficience en l'éducation, en instruction et dans les disciplines du groupe en général qui transmettent à chacun des membres du groupe les modèles, les normes, les systèmes de valeurs caractérisant la culture du dialogue et du débat.
Majid Blal, écrivain. Sherbrooke le 28 janvier 2012