M Aouragh
- Détails
- Publication : samedi 22 juillet 2017 16:52
CHAUFFARD
Express Nord Sud car bariolé
Je monte m'installe à côté
D'un vieux emmitouflé
Une barbe blanche et drue
Dépasse de sa capuche touffue...
Sur le côté un soldat enivré
Sur deux sièges affalé
Ronfle fatigué
Une femme à l'arrière
Berce un bébé qui tète
Silencieuse et triste
Soutenue et accompagnée
D'une grand-mère intentionnée
Au visage souriant tatoué...
Deux jeunes femmes devant
Dans leurs habits moulants
Auréolées de bijoux à profusion
Se racontent les feuilletons
En rêvant d'un mari beau et bon
Se plaignent des harcèlements
Des jeunes des adultes des vieux
Dans la rue dans le bus au travail
Lire la suite...
Même les femmes voilées
Et les personnes âgées
Ne sont pas épargnées
Ni civisme ni respect
Langage insolent
Monnaie courante
À la moindre étincelle
La violence règne...
Un jeune couple derrière
Ecoutent Essaher* chanter
Les célèbres poèmes de Kabani*...
A l'arrière du car
Sur deux sièges mal fixés
Deux touristes enchantés
Apprécient l'authentique
Flashent l'exotique
Un guide du routard à la main...
Ce car agrémenté
D'un délabrement avancé
Ce corbillard d'une mort annoncé
Un jour dans un virage asphalté...
Le chauffeur grimpe lourdement
Accompagné de son Graissoune*
S'installe dans son siège
Quelques coups de klaxon
Quelques vrombissements
Il démarre en trombe
Malgré la circulation
Allume cigarette
Et radio cassette
La voix d'un prédicateur fuse
Inonde l'espace et le voisinage
Réveil en sursaut des dormeurs
Les têtes sortent des capuches
Mon voisin se redresse
Me salue jette un regard
A travers la vitre issue de secours
Sur le plateau aride de l'été
Cailloux Halfa* parsemés
Au fond le majestueux Ayachi* dressé
Dans l'attente de sa neige immaculée
La lumière éblouissante est arrivée
Le soleil du matin se pointe pressé
Dans ses bagages pour la journée
La canicule qui s'annonce en maître
Géhenne et punition terrestre...
Villages aux cimes uniques
L'envoûtement magique
La voix de Cherifa*
Les chants de Ruicha*
Et tamawayt* de Hada-Ouaki*
Baignent mes rêveries
Les paysages défilent toujours
Ce départ hâtif écourte mon séjour...
Le chauffard roule vite
Conduite inconsciente
S'arrête de temps en temps
Pour rajouter et entasser
D'autres voyageurs épuisés
Qui attendent depuis l'éternité
Au bord de cette route désertée
Graissoune* compagnon du chauffard
Méprisant voyou et roublard
Encaisse l'argent des billets
Sans donner de tickets
Bouscule grogne et somme
Les campagnards fatigués
De s'asseoir par terre
Entre les sièges dans l'allée ...
Dans la forêt des cèdres gourou
Des familles de singes magot
Et des chiens errants affamés
Attendent sur le bas côté
Leurs lots de pain jeté
Par des chauffeurs attentionnés...
Après un long trajet d'épuisement
De fatigue de sueur d'étouffement
Et l'odeur d'échappements
Le car s'arrête finalement
Dans une bourgade animée
De chaque coté
De la route goudronnée
Gargotes et terrasses de café
Épiceries aux fruits exposés
Boucheries et viande étalée
Prête pour des grillades ambrées
Les voyageurs se précipitent d'emblée
Hors du car vers l'entrée
De la première gargote
Recherchant la fraîcheur...
Dans le café le chauffard
S'installe s'étale tel un Caïd
Devant une table bien remplie
De brochettes d'un Tagine garni
Du pain et un plateau de thé
Il mange prend son temps
Au frais du gargotier content
Dans le tumulte passe le temps
Quelques voyageurs font les cents pas
D'autres ne se reposent pas
Sur leurs sièges attendent le départ
Des mendiants envahissent le car
Des enfants et jeunes vendeurs
Harcèlent et supplient les voyageurs
D'acheter ou donner la Sadaka*
Allah donnera la Baraka*
Un musicien violoniste édenté
Visage long sec et balafré
Signes de bagarres et beuveries
Chante voix éraillée Tamadiazte*
Relatant la vie cruelle de Tamazirte*
Les gens lui donnent un peu d'argent
Le retour du Graissoune* inattendu
Fait déguerpir les intrus...
Après un long moment
Le chauffard omnipotent
Est au volant
Quelques coups de klaxon
Quelques vrombissements
Puis repart en trombe
Pour rattraper le temps
Double imprudemment
Frôle une carriole avec femme et enfants
Le vieux bonhomme assit près de moi
Balbutie la Basmala* protectrice
Quelques cris s'élèvent étouffés
La femme devant effrayée
Les mains serrant son bébé
Invoque les Saints de la région
Dans la panique et l'affolement
Seuls sont impassibles
Le soldat enivré
Qui dort à poings fermés
Et le prédicateur Oriental
Du radio cassette du chauffard
Qui accuse et charge avec hargne
L'Occident et l'Amérique
De tout le mal vivre de la planète...
Plus loin un barrage de contrôle
En vue deux gendarmes
A l'ombre du seul arbre du coin
Le car s'arrête grincement des freins
Après conversations
Hésitations et conclusions
Le chauffard récupère son permis
Puis repart en trombe
Pour rattraper son temps
Nos vies entre ses mains...
Essaher* : chanteur Irakien
Kabani* Nizar : poète Syrien
Graissoune* : aide du chauffeur
Halfa* : arbuste du désert
Ayachi* : montagne du haut Atlas près de Midelt (ville marocaine)
Cherifa* : chanteuse berbère
Ruicha* : chanteur berbère
tamawayt* : complainte berbère
Hada-Ouaki* : chanteuse berbère
Sadaka* : aumône
Baraka* : bénédiction
Tamadiazte* : chant berbère
Tamazirte* : bled en berbère
Basmala* : verset du coran
Mohamed Aouragh
Chambéry France