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A nous deux, Casa


par BEHRI ABDELAAZIZ

            Nul ne sait ce que lui réserve l’avenir. Mots simples mais effrayants qui mettent en relief la faiblesse des petites créatures que nous sommes face à l’immense inconnu, à l’immense incertain.

Mais l’incertitude concerne surtout la nature de la surprise qui nous attend et qui peut être aussi bien agréable que désagréable ; des fois, les deux.Pour moi, c’est bien le dernier cas de figure. En effet, la surprise est agréable car ma fille a réussi dans ses études et trouvé du travail à Casa.

C’est une très bonne chose parce que les efforts que j’avais consentis n’ont pas été vains, Dieu soit loué. Mais désagréable car je suis dans l’obligation d’aller vivre avec elle, c’est-à-dire, de quitter Midelt, la ville qui m’a vu naître, grandir et vieillir; la ville qui m’a nourri et désaltéré, la ville qui est mon chez moi ! Mais la séparation est inéluctable. Le 2 janvier 2012, je la quitte donc, en famille, mais de nuit, comme un voleur, le cœur plein d’amertume et de souvenirs qui vont peut-être m’aider à mieux affronter la vie qui, semble-t-il, sera dure ; Casa et ses habitants étant invivables !

 

                      A vrai dire, pendant les semaines qui avaient précédé mon départ, ce voyage inopiné et indésirable me hantait sans cesse. Et des questions, toutes relatives à ce qui pourrait m’attendre là-bas, se bousculaient dans ma tête, m’empêchant de vivre pleinement mon présent avec mes amis, qui, à maintes reprises, me reprochaient mes distractions. Cette nuit-là, je n’ai pas pu fermer l’œil ; des idées noires obnubilaient mon esprit, d’autant plus que j’étais en famille et que j’avais des bagages, lourd fardeau pour un sexagénaire ! L’installation dans le nouvel appartement, l’étage, les escaliers, l’immeuble, les voisins, le centre commercial, tout cela me turlupinait. Le voyage a duré quelques heures et notre arrivée dans la nouvelle ville a coïncidé avec la naissance d’un nouveau jour de la nouvelle année. Bon augure, mauvais augure, je ne sais. A huit heures du matin, une camionnette nous transporte à Aïn Sbaâ. L’appartement se trouve au quatrième étage ; soixante-douze marches à faire plusieurs fois. Rien que d’y penser me donne la tremblote. Mon premier souci, ce sont les bagages dont certains sont lourds. Comment faire ? Qui va m’aider ? Les voisins vont-ils me donner un coup de main ? Mais heureuse surprise ! Le conducteur, un teen-ager, m’aide à monter toutes les choses. Avec l’âge, je vous avoue que j’ai sué sang et eau et le jeune homme également. Mais la nécessité et la volonté nous ont bien soutenus dans nos efforts éprouvants. Ce travail nous a demandé près d’une heure mais, désormais, je pouvais être tranquille puisque le plus dur venait d’être fait.

                       Les premiers jours sont consacrés aux courses ordinaires qui suivent toute nouvelle installation. Des choses qu’il faut acheter, changer, remplacer. Activités ordinaires si ce n’était les escaliers. Au début, mes genoux ont été mis à rude épreuve, mais les efforts fournis, à chaque fois, leur ont été bénéfiques car plus je monte et moins j’ai mal. Une nécessité qui vous oblige à vous surpasser et à découvrir vos limites.

                          Les voisins, eux, sont accueillants mais discrets. S’ils vous croisent dans les escaliers, ils sont les premiers à vous saluer et à vous céder le passage. Les enfants et les jeunes garçons vous proposent de vous aider s’ils voient que vous êtes encombré par des objets. Ils m’ont même aidé à prendre conscience de mon âge. A Midelt, j’avais un nom ou un titre qui ne signifient pas l’âge. Mais à Casa, on me nomme Loualid, Laâmim, Lhaj, Oustad (à cause des lunettes qui pendent toujours à mon cou). Dans la rue, les gens sont très serviables. Ils n’hésitent pas à vous donner l’information que vous désirez. Une fois, un monsieur m’a pris dans sa voiture de la mosquée Hassan II à la Hadika, à Ain Sbaa. Le plus surprenant dans cette affaire, c’est qu’il a rebroussé chemin! Quelle obligeance ! Quant aux commerçants, ils sont très gentils. Vous n’avez pas besoin de discuter le prix avec eux ; celui-ci est non seulement raisonnable, mais il diminue en fonction de la quantité.

                         Les préjugés s’estompant avec l’expérience, je commence à changer d’avis sur les Casaouis. En effet, les faits divers rapportés par les médias en ont beaucoup terni l’image. Quand on parle de cette ville et de ses habitants, toutes sortes de crimes et de criminels apparaissent en filigrane. On est enclin à se tapir chez soi, de peur d’être agressé. Dans la rue, dans le bus, partout, on évite de contacter les passants, les passagers pour ne pas se faire subtiliser son portefeuille. Mais la vérité est tout autre. Depuis trois mois que je suis ici, je n’ai jamais vu de dispute en public. Ni altercation, ni bagarre. Rarement des gros mots entre des personnes en litige.

                          Même la mendicité, elle est pratiquée de façon professionnelle. Mettant en exergue son handicap, le mendiant fait la manche sans harceler les passants. Dans la rue, vous pouvez être abordé par un jeune qui, discrètement, avec des gestes, vous fait comprendre qu’il a faim. Sur les terrasses des cafés, le gérant veille à votre bien-être des clients. Ceux-ci ne doivent pas être indisposés. Dès qu’un mendiant s’annonce, il le prie poliment de s’en aller. Des fois, une femme, un jeune enfant posent des bonbons ou un stylo sur votre table, sans vous adresser la parole. Puis ils repassent et les reprennent. C’est du commerce et vous êtes libre d’acheter ou non.

                          Par ailleurs, j’ai constaté l’absence totale de ce que j’appelle « le discours génétique ». Nul ici ne fait prévaloir son origine, sa langue ou son ethnie pour paraître plus important que vous. Arabe, Berbère, Chrif, Hartani, ces notions ont quasiment disparu des bouches des gens, alors qu’on nous en rebat les oreilles ailleurs. Et pour cause. Les grandes villes sont d’essences démocratiques car leur population se compose d’individualités. Et du moment que l’appartenance à une caste quelconque ne leur rapporte rien, ni ici-bas, ni là-haut, ils préfèrent parler de leur travail, des problèmes de la vie. Au lieu de se plaindre sur leur propre sort, ils parlent politique ; ils font la critique du gouvernement. D’aucuns pensent qu’il va mettre au jour les errements de ses prédécesseurs qui faisaient juste le contraire de ce qu’ils disaient, et qui ,comme disait Nadir YATA, avaient le cœur à gauche et le portefeuille à droite. D’autres, plus sceptiques, le mettent sur un pied d’égalité avec eux et affichent beaucoup de pessimisme, quant à l’avenir.

                        Certes, chez nous, les gens sont un peu difficiles à vivre pour qui ne les connaît pas, mais il faut savoir que cela est surtout dû à leur caractère qui est identique au climat qui l’a généré. Là-bas, on change facilement d’humeur. La moindre parole peut nous faire sortir de nos gonds ou, au contraire, nous mettre en joie. Les gens qui viennent d’ailleurs s’étonnent de la versatilité des Mideltis et disent que nous sommes incompréhensibles, voire farfelus. Mais dès qu’ils apprennent à mieux nous connaître, notre endurance les surprend, d’autant plus que la pauvreté et le désœuvrement sévissent dans cette partie du Maroc. Le manque d’activité rouille n’importe quelle mécanique, et encore plus le tempérament des hommes.

                          En conclusion et pour rendre à César ce qui lui appartient, j’affirme que Casablanca n’est pas aussi malsain qu’on veut nous le faire croire. En me confondant à la foule, je plonge dans l’anonymat et je passe incognito. Ni vu ni connu. Cependant, il me manque cette chaleur humaine qui ne se trouve nulle part ailleurs. Il me manque ces scènes humoristiques spontanées et gratuites qui font tordre l’assistance, ces crises de fou rire qui dilatent le cœur, ces doux visages familiers que je ne pouvais pas ne pas voir chaque jour.                                          

                                                                                                                                                    L’Inconsolable.
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