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Majid Blal

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Le Nizoral du docteur Marcoux: par Majid Blal

Le 29 janvier 2015, 09:31

 

Début de 1990, préliminaire d'une nouvelle décennie et prélude au gonflement du ventre de ma compagne. Elle porte mon bébé conçu dans l'atmosphère fraîche des élévations en hauteurs des Atlas.

 

Février au Québec est le mois de l'amoncellement des griefs contre l'hiver, de l'énumération des litanies sous forme de dépressions saisonnières et de l'énoncé du consensus quant à l'élaboration de  la liste des torts reprochés à l'hibernation qui n'en finit plus. 

 

Tout va bien dans toutes les dimensions et sphères de ma vie sauf que, pernicieusement s'est installée une petite toux agaçante. Toux aussi anodine qu'une simple angine de fumeurs qui s'acharne le lendemain d'une veille pour venger le trop plein de cigarettes grillées. Comme je suis fumeur,  je n'y prête pas plus d'attention qu'il en faut, jusqu'au moment où des filets de sang accompagnent régulièrement et continuellement les crachats collatéraux.

 

Ma visite à l'Hôpital Hôtel-Dieu est aussi bénigne que dans mes souhaits les plus indulgents. Auscultation, radiographie et prescription pour un traitement de dix jours d'antibiotiques Amoxyline. Rassuré par le diagnostic, je rentre à la maison aussi fringant que j'étais preste à mon départ le matin. Je ne devrais ni ciller ni broncher pour une simple inflammation des bronches ni m'en inquiéter, encore moins.   

 

Dix jours d'antibiotiques et aucune amélioration. Pire encore, ma fièvre connaît des pics plus hissés la nuit et le jour, je saigne des excrétions crachées des poumons.  Je tousse plus aigu et à force d'être secouée, ma cage thoracique est douloureuse. Je repars à l'hôpital bien confiant que la situation n'est qu'épisodique, transitoire et passagère. On me passe une  batterie complémentaire et plus profondes d'analyses, de radiographies, de prises de sang... sous la supervision cette fois-ci d'un spécialiste pneumologue.

 

Après quelques aller-retour chez les inhalothérapeutes et aux laboratoires de prises de fluides et de solides, on m'informe que le diagnostic est plus  sérieux, que j'ai contractée une pneumonie et que je devrais recommencer un traitement d'antibiotiques appropriés genre streptomycine. Que j'ai besoin de repos et que je ne devrais plus fumer.

 

Nous sommes déjà en mars. Ma condition ne s'est pas améliorée d'un iota. Le traitement par des médicaments plus puissants que les antibiotiques initiaux n'a pas abouti et n'a pas pu juguler l'acharnement d'une anonyme entité microscopique qui s'obstine à me gruger de l'intérieur. Je crache toujours des secrétions sanguines et je toussote comme un vieux moteur dont le carburateur s'est encrassé par des nocives poussières invisibles. 

 

Je retourne voir le pneumologue, le docteur V. Bien que calme et courtois, il laisse transpirer son agacement et son irritabilité face à un micro organisme qui garde la main haute sur mes bronches et dont il n'a pas pu bloquer et endiguer la marche victorieuse vers mes poumons. C'est devenu une affaire personnelle dans une guerre contre l'inconnu. Le médecin spécialiste n'a pas l'intention de perdre la face, face à une bactérie, un microbe, un virus...

 

Batterie de tests et d'analyses et on décide de m'hospitaliser subito presto. La pneumonie s'avère coriace et les remèdes inefficaces. J'accuse le coup. Le doute s'infiltre dans ma tête et commence à ébranler ma confiance. Je commence à prendre au sérieux la gravité de la chose tout en persistant dans l'autodérision qui demeure l'humour facilitant la communication au timide qui m'habite.

 

J'intègre promptement mon statut de malade douteux. Je refuse de baisser les bras d'autant plus que je suis au sixième étage avec les alités en phase terminale. Entre deux auscultations, j'écume les corridors et les couloirs. Je déambule partout et reviens dans ma chambre lire quand je ne trouve pas une victime à qui jaser.

 

Les jours se suivent et les analyses se succèdent. Toujours le statut quo dans le cul de sac. Les médecins et les spécialistes n'arrivent pas à débusquer le mal qui me grignote et m'érode de l'intérieur. Chaque jour à son lot de nouvelles tentatives et de nouveaux prélèvements pour les laboratoires. Après les ponctions lombaires avec la longiligne aiguille qui sert aux péridurales, les biopsies avec une aiguille fine transbronchique munie d'une caméra qui furète au fin fond de mon appareil respiratoire,  le scanner pour la tête car il y a menace d’ assaut  contre le cerveau, il y a risque de péril en la demeure. Ensuite, vient la radiographie nucléaire qu'un vieux spécialiste d'origine syro-libanaise manipule en y mettant un la volonté sincère d'une vocation pédagogique. Il tient à m'expliquer chaque étape et le processus entier dans  les attentes en terme de diagnostic...

 

L'affaire se corse et les inquiétudes autour de moi commencent à prendre des proportions alarmantes. On rentre dans ma chambre avec des masques, on met des gants et on prend de plus en plus de précautions et de mesures hygiéniques qui me tourmentent.

 

Je ne veux nullement emménager dans la paranoïa ni perdre espoir ni commencer à entamer le dernier recours que sont les prières quand on arrive face au mur de l'impuissance. Croyant ou pas et n'ayant jamais été pratiquant, je m'en voudrais et me condamnerais comme un hypocrite faux-cul, de mauvaise foi, si je ne commençais à prier et à supplier que lorsque je suis dans l'adversité, mourant ou vieillissant. Les dieux doivent bien se marrer de tous ces repentis de la dernière chance qui se mettent à table uniquement pour quêter les faveurs divines quand le sort les met en face de leurs détresses et de leurs limites. J'ai eu juste peur de mourir sans avoir vu et connu un bébé qui chemine vers la vie.

 

Quand l'aumônier de l'hôpital me rend visite, j'en conclus que je suis cuit. Que le temps m'est ompté. En sursis, mon sort est peut-être scellé. Il est bien sympathique et bien que je ne sois pas chrétien, il me visite tous les jours pour échanger et cela me fait plaisir. J'attendais ses inspectes et observes en préparant différents sujets de conversation pour le garder le plus longtemps possible avec moi.

 

Rien de nouveau sous les néons vibrants du sixième, jusqu'aujourd'hui. Je habitué de voir ma chambre prise d'assaut par le personnel médical et

universitaire mais cette fois et exceptionnellement, un résidant s'est pointé seul. Après les salutations d'usage, il attaque le sujet en essayant d'être

aussi subtil et aussi prévenant qu'un éléphant dans un magasin de porcelaine. Je deviens de plus en plus en porcelaine et mon seuil de tolérance aux

mauvaises nouvelles est atteint. Il me pose des questions sur ma vie conjugale pour aboutir"astucieusement" à ma vie sexuelle et à mes mœurs en la matière. Avant qu'il ne pose la question qui le démange, je lui réponds que je suis hétérosexuel et que j'ai toujours été aux femmes au point qu'elles m'obsèdent. Il prend son courage dans un long silence et me devise sur l'importance du système immunitaire dans la défense de l'intégrité physique et dans le contre-espionnage des anticorps face aux risques d'intrusion d'entités indésirables. J'ai très bien compris dès le début qu'il m'expose le SIDA en

termes génériques et qu'il me prépare psychologiquement à l'éventualité d'une telle affection. Il finit par me demander si je peux donner l'autorisation pour prélever encore du sang en vue d'analyses sur l'immuno-machin-tueur...Je suis foutu!

 

En attendant l'annonce qui tomberait comme un couperet, qui scellerait la fin de toutes les conjectures et clore le sujet, Un homme entre deux âges entre dans ma chambre avec le sourire sincère, la démarche décontracté et le regard apaisé sous le bleu azur de ses yeux clairs. Suivi d'une cohorte de tabliers et sarraus de différentes couleurs, le monsieur se présente:

 

- Docteur J.André Marcoux, infectiologue au CHUS. puis de poursuivre dans le même souffle. Alors comment vas-tu Majid, ce matin? Majid! on prononce comme cela?

 

Je n'ai de droit que d'être blême. Je n'ai de prétention que d'assumer la lividité de mon visage pâle. Pendant que j'attendais des nouvelles, j'avais oublié que je pouvais parler, sourire, répondre au moins par courtoisie. J'ai les yeux accrochés au bleu de ces prunelles-ciel, suppliant de m'achever de suite. De ne pas me laisser languir. Il relève les appréhensions et les supplications dans mon regard terrifié et il enchaîne:

 

- J'ai de bonnes nouvelles mon ami mais avant je tiens à m'excuser pour la bêtise de certains qui t'ont demandé du sang pour l'analyse du SIDA. Tu ne

présentes aucun symptôme pourtant. Pas de perte d'appétit, pas de perte de poids, pas d'autres signes distinctifs et tes résultats d'analyse sont

négatifs.

 

Ouf! me dit l'ange qui passe et qui de ses ailes provoque des frissons partout sur mon échine

 

- On va te guérir en quelques jours Majid. Tu as eu la malchance de rencontrer un champignon microscopique qui s'est logé dans tes poumons. La

Blastomycose est une maladie très peu fréquente causée par la mycète Blastomycose  dermatitidis...d'ailleurs je leur ai fait la remarque, en se tournant vers le pneumologue, puiqu'ils auraient dû reconnaitre le champignon au microscope au lieu de t'inquiéter de la sorte...

 

À ce moment, je décroche de la suite du discours car la joie, l'émotion mélangés au ressentiment et à la conscience de l'avoir échappée belle m'envahissent et j'ai pleuré. Juste je pleure en chaudes larmes et en silence. Juste je laisse couler le trop plein sur mes joues et sur mon âme de démissionnaire. Juste je larmoyer comme on ne le fait jamais car personne n'est assez clairvoyant de sa propre résurrection que moi en cet instant. De la périclitation en résurrection des adieux terminaux en retrouvailles avec cette belle et terrible chose qu'est la vie.

 

Marcoux me prescrit un traitement à base de Nizoral et en trois jours, tout est rentré dans l'ordre comme si je n'avais jamais été atteint. Nizoral ! La

pilule philosophale d'André Marcoux. La pilule qui transforme l'agonie en vie. Le désespoir en espoir et Majid en revenant. En un quart d'heure, Marcoux a hurlé au Blastomycose à la manière de Gandalf en brandissant son stéthoscope:

 

- Tu ne passeras paaaaaaaas! 

 

Le Docteur Marcoux m'a repêché d'entre les morts car j'avais déjà mis un pied dans l'autre. Mon expérience de l'immigration et de la mobilité pendulaire m'ont appris à toujours préparer le terrain d'une intégration en perspective. Nizoral! un nom doux qui sonne antipelliculaire comme le shampoing du même nom.

 

Cette semaine du 24 janvier 2015, le docteur Marcoux est décédé et j'ai une larme de gratitude, d'amitié et d'humanité. Si le paradis existe, il devrait

donner la prééminence d'accession par le mérite et  les différents niveaux seraient octroyés comme des lots de terrain proportionnellement au prorata des réalisations faites et laissées aux humains sur terre.

 

Il existe bien des anges sur terre et il nous arrive de les rencontrer sans nous en rendre compte. J'ai eu le bonheur d'en rencontrer un et de le voir de

visu. "Les mains qui aident sont plus sacrées que les lèvres qui prient" À André je suis redevable. Merci Monsieur

Ma fille est née quelque mois après. Pour aller à l'hôpital Saint-Vincent de Paul, j'ai conduis la vieille Horizon comme un cascadeur pendant que Marlène riait de moi. Pourtant c'est elle qui avait des contractions. Ma fille a aujourd'hui 24 ans et mes yeux sont remplis d'elle. 

 

Le 26 janvier 2015 à Sherbrooke
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